La dixième conférence de Thom Bond
Bonjour à tout.e.s,
Nous espérons que ce cycle de conférences vous permet d’avancer d’une nouvelle façon sur la voie de l’empathie et de la compassion.Vous pouvez retrouver ce texte dans sa version audio ici
CONFERENCE 10 du 10 avril 2023
Il s’agit de la dixième conférence du Cours de Compassion du 10 avril 2023.
Accueil
La conférence commence par un “check in” : quelques minutes pour se centrer, puis ceux qui le souhaitent témoignent.
Magdalene : j’ai remarqué que de petites choses peuvent faire une grande différence. Cette semaine, j’ai donné un conseil. Plus tard, j’y ai repensé et j’ai envoyé un email à la personne pour lui dire qu’elle n’avait pas demandé de conseil, et si c’était OK.
Thom apprécie. Cela lui rappelle un moment avec Marshall Rosemberg où Thom était dans une mauvaise passe, et Marshall avait demandé à Thom s’il souhaitait un conseil. Et c’est ce dont il avait besoin ! Ce n’est pas toujours d’empathie dont nous avons le plus besoin. Mais c’est si bien de savoir faire la différence.
Anita : j’ai de l’espoir et de l’inspiration, par rapport à ton cours sur “avoir du pouvoir sur ou avoir du pouvoir avec”. Le matin, je me répète des phrases, et je l’ai changé en “je vais m’étonner”, avec cette idée d’avoir du “pouvoir avec moi”.
Thom : oui, tout cela s’applique aussi dans notre relation à nous-même, lorsqu’on essaie d’être son meilleur ami.
Glenor : je n’ai pas beaucoup travaillé ces dernières semaines, car j’ai été très occupée. Ma mère, qui a 92 ans, a eu le covid, puis je l’ai attrapé ensuite. Je me sens dépassée et épuisée. Quand je me suis rappelé il y a quelques jours qu’il y avait cette conférence, je me suis dit que je voulais y assister, pour prendre soin de moi, et faire de l’auto-empathie.
Casey : j’ai envie de partager ma gratitude. Mon fils est en Thaïlande, et va se fiancer. Il m’a remercié de lui avoir laissé autant de liberté, et de pouvoir découvrir le monde. Cela m’a fait très plaisir, je ne m’y attendais pas.
Thom : n’est ce pas merveilleux de pouvoir recevoir un tel feed-back ?
Rainy : ces dernières semaines, je me suis rendue compte comment ce cours avait infusé en moi. J’avais mal au cou depuis un moment. Puis j’ai eu un petit accident en voiture, sans gravité. C’est alors que j’ai fait une pause, et j’ai fait de l’auto-empathie. Et je me suis rendue compte que je ne prenais pas assez soin de moi. Ces petites choses m’ont aidée, et mon cou va beaucoup mieux.
Thom : oui, cela nous rappelle de nous reconnecter à la vie.
Revue des 4 dernières semaines :
Thom : pour les 4 dernières semaines, il y a un thème important. Il s’agit d’utiliser les capacités d’empathie que nous avons apprises, pour changer nos relations avec nous-mêmes et avec les autres. Cela nous permet de porter attention à nous-même de manière très différente, ainsi qu’aux autres. Et nous pouvons regarder le monde d’un point de vue différent.Un premier aspect est le deuil. Une fois que nous avons cette pratique de l’empathie, que nous pouvons sentir nos émotions, nous pouvons aborder le deuil différemment et cela change tout. Nous pouvons aller vers ces endroits terrifiants, inconfortables. Le fait de pouvoir voir nos émotions et nos besoins nous permet de vivre. Et le deuil permet de se connecter à la vie, à nos émotions et nos besoins, que ce soit lors d’une perte, d’un manque, même quand cela est douloureux. Le deuil permet d’embrasser la vie, plutôt que d’essayer d’éviter la douleur. Cela permet de s’accorder avec notre instrument intérieur. Quand nous faisons le deuil, nous ne faisons pas que sentir l’absence de certaines choses, mais aussi la beauté de ces choses. Le deuil nous permet d’aller plus loin dans l’auto-empathie.
Semaine 39 : accords plutôt que règles
Un accord permet d’obtenir la même chose qu’avec des règles. Un accord est basé sur les besoins. Les règles elles, sont statiques, et pas forcément connectées aux besoins. Avec cette connexion aux besoins, un accord peut plus facilement évoluer, en fonction des besoins. Ces concepts sont aussi reliés à l’idée d’avoir du pouvoir avec, plutôt qu’avoir du pouvoir sur. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas de règles. Elles nous sont nécessaires pour coopérer en société, et par exemple, on ne veut pas renégocier le code de la route à chaque intersection. Mais cette approche permet de réfléchir à ce que l’on veut soumettre à des règles ou à un accord. On peut décider aussi de changer les règles, plutôt que de ne pas les respecter. Pour résumer, les règles s’apparentent à des “tu ne devrais pas”, qui nous privent de choix. Alors que, dans un accord, nous retrouvons du choix.
Semaine 40 : l’art du deuil
Il y a une différence importante entre être déprimé et être dévasté. Si on peut choisir, quel est l’état qui nous permet d’être le plus connecté à la vie ? En fait, il s’agit de l’état “dévasté”, car on sent les effets, alors qu’en dépression, on ne sent plus rien, on ne sait pas où aller. Marshall Rosemberg expliquait que la dépression existe quand on ne se rend plus compte de ses besoins. On est un navire sans pilote. Le deuil nous permet de nous reconnecter à ce dont nous avons besoin, à ceux que nous aimons.
Semaine 41 : les images ennemies
Tout le monde comprend le concept d’ennemi. Pourtant c’est un mode de pensée destructeur, et tragique. En effet, comment espérer que priver quelqu’un d’autre de remplir ses besoins va nous aider à remplir les nôtres ? Imaginons que nous ayons un conflit, une attaque, une guerre… quel que soit le niveau d’escalade, nous blâmons les autres et les rendons responsables de notre malheur, ce qui nous coupe de la vie. A la place, il est possible de chercher à comprendre ce dont nous avons besoin, et de chercher comment y parvenir. Nous rendre compte que c’est notre besoin non rempli qui nous cause de la douleur. Je comprends que cela peut paraître très idéaliste, par exemple quand on est sous les bombardements. Nous sommes à une étape dans notre société. Nous pouvons aller plus dans cette voie pour être plus créatif, et moins destructeur. Pour cela, nous avons besoin de beaucoup d’empathie et d’auto-empathie.
Semaine 42 : pouvoir avec plutôt que pouvoir sur
En tant qu’humain, nous avons l’habitude de structures verticales, où les besoins de certains sont plus importants que ceux des autres. L’approche du “pouvoir avec” consiste à considérer que les besoins de tous sont également importants. C’est l’idée de la démocratie.En étant attentifs aux besoins, pour soi et pour les autres, nous pouvons faire différemment. De mon point de vue, je ne vois pas de meilleur moyen d’être mieux connecté à sa vie. C’est énorme, cela revient à changer le monde. Au moins, on peut en être conscients, et agir en conséquence dans sa vie de tous les jours. Par exemple avec ses enfants, qui ont les mêmes besoins que nous.
Questions-réponses
Suzette : j’aime avoir des règles et les suivre. Que penses-tu des règles que l’on se fixe à soi-même ?
Thom : tu es en avance de deux semaines ! (rire) En fait c’est la même idée, de transformer nos règles en accord.
Suzette : je repensais à ce que m’a dit mon fils l’autre jour, en disant : “moi je ne fais pas “x”, je ne suis pas “x”.
Thom : oui, cela peut être une façon de s’exprimer. Sinon il est beaucoup plus facile de changer sa façon de voir que celle des autres.
Bonita : je réfléchissais que le “pouvoir sur” s’apparentait à la dictature.
Thom : oui, et aussi au rapport parents / enfants. Dans une société basée sur le “pouvoir sur”, certains ont le pouvoir, et les autres non. Mais notre approche permet de nous réapproprier du pouvoir, et d’utiliser la compassion et la compréhension pour créer des relations où on peut prendre soin de nous et des autres. Le mode de pensée “pouvoir sur” imbibe notre culture, c’est très difficile de s’en défaire. Je l’ai observé dans certaines organisations par exemple, qui voulaient mais n’arrivaient pas à mettre en place un fonctionnement basé sur le “pouvoir avec”.
Santa : je voudrais ajouter que, pour moi, dans ma famille, mon travail, lorsque mes besoins ne sont pas remplis, j’essaie d’en prendre soin ailleurs. Car si j’attends que le système change… c’est comme cette histoire où je cherche de la crème glacée dans un magasin de bricolage : ce n’est pas parce que mes besoins ne sont pas remplis dans une situation que je ne peux pas les remplir d’une autre façon.
Magdalene : j’aimerais tes commentaires sur le fait que parfois on ne voit pas d’autre solution qu’utiliser le “pouvoir sur”. Par exemple, mon immeuble qui est mal entretenu. Comment faire autrement que de faire appel à un avocat pour obliger le propriétaire à faire ce qu’il doit ?
Thom : oui, ce thème des problèmes entre locataires et propriétaires revient souvent. L’idée est d’abord de s’aligner sur ses besoins, et de les aligner avec les besoins des autres. Cela nous donne la capacité de savoir où l’on veut aller. Et parfois, il est nécessaire d’utiliser de la force pour se protéger, de manière bienveillante (voir semaine 17). Je ne vais pas permettre que cette situation se produise. Je ne vais pas vous haïr. Je ne vais pas dire que vous êtes une mauvaise personne. Mais je vais aussi m’assurer que mes besoins soient remplis.
Katie : j’ai été éduquée dans un schéma du pouvoir des hommes sur les femmes. Et sur l’importance d’avoir des enfants. J’ai deux frères plus âgés qui ont eu beaucoup d’enfants. Moi je n’en ai pas. La relation était très déséquilibrée et j’ai choisi de me distancier, géographiquement et dans ma relation à eux. Aujourd’hui, je suis en deuil de ce manque de connexion. Je travaille beaucoup là-dessus, dans l’espoir de me soulager, mais je ne sais plus quoi faire pour y arriver.
Thom : c’est ce que j’appelle un “projet d’auto empathie”. Quelque chose qui ne peut pas être planifié. Je le fais, encore et encore, et un jour ça arrive. Une autre chose sur laquelle je voudrais insister est que les relations avec les autres peuvent parfois être surestimées. Dans ce cours, nous essayons de nous connecter à la vie avec les autres. Mais parfois, en se connectant à d’autres, on ne se connecte pas à la vie. Ainsi, j’essaie de me rappeler de me connecter à la vie, avec les personnes avec qui c’est possible, plutôt que d’espérer le faire avec des personnes particulières, avec qui ce n’est pas possible. Ainsi nous devenons plus créatifs, agiles. Je me dis aussi souvent que les personnes qui nous aident le mieux à remplir nos besoins ne sont pas ceux qui nous les rappellent. J’ai appris cela de Rita Herzog. Imaginez que vous avez des invités chez vous, et le matin, vous les trouvez en train de prendre méthodiquement vos plats dans les étagères, et les casser en les lançant sur le sol. Et vous diriez : oh, merci de m’aider à me rendre compte combien j’ai besoin d’ordre et de considération. Je sais, cela paraît idiot. Mais réfléchissez-y. Nous pouvons le faire. Vraiment. Nous pouvons utiliser ces moments de deuil, et en faire quelque chose.
Carla : je voudrais témoigner que j’ai élevé mes enfants sur la base d’accord, avec très peu de règles. Nous avons eu très peu de conflits de pouvoir. J’étais une femme seule, avec trois adolescents. Et nous avons toujours une très bonne relation. Je voulais en faire un commentaire d’encouragement pour montrer que cela fonctionne. Je voudrais aussi dire que je suis allergique au mot “discipline”, mais qu’ils sont devenus très auto-disciplinés, à cause de la liberté et de la confiance qu’ils avaient.
Thom : oui, cela marche vraiment. Si on apporte suffisamment de communication et de compréhension. Cela met la barre très haut. Dans les moments de difficulté, cela nécessite de se poser et d’expliquer nos raisons, qui sont d’aider l’autre, plutôt que de dire “non, ne le fais pas”. Cela nécessite de pouvoir comprendre ses propres besoins.
Marta : à propos de “pouvoir sur / pouvoir avec”, j’ai lu des exemples sur le forum sur les relations professeur, parent, manager, police, gouvernement… mais si on n’est dans aucune de ces situations ? J’ai beaucoup de mal à faire les exercices proposés car je ne suis dans aucune position d’autorité. J’aimerais avoir des exemples de ce “pouvoir sur / pouvoir avec”… pour des relations qui sont censées être équilibrées : amis, voisins, époux…
Thom : je crois que le cas le plus fréquent est lorsque l’on essaie de convaincre une autre personne : allez, je t’ai jamais rien demandé ! Tous ces cas où l’on utilise la culpabilité, la honte… pour forcer quelqu’un à faire quelque chose qu’il ne veut pas. On voit qu’on peut le faire parfois sans s’en rendre compte. On essaie alors de faire les choses différemment.
Casey : le “pouvoir sur” est le mode de communication le plus fréquent, presque automatique.
Thom : oui, avec celui de “sous le pouvoir de” !
Casey : alors comment engager des personnes qui ont le “pouvoir sur” à avoir cette conversation, alors que cela ne les intéresse pas forcément. Et même si on a cette conversation et qu’ils vous disent “oui, c’est vrai je vais essayer”, très souvent, comme un élastique, on revient à la situation de départ.
Thom : oh, oui, absolument. C’est une telle transformation. C’est un processus très difficile. Comme tout bon ingénieur, j’essaie de trouver la petite chose simple, qui peut apporter une solution à de nombreux problèmes. Et c’est pour cela que je fais ce cours. Certaines personnes, qui ont beaucoup de pouvoir, s’en fichent des autres, c’est vrai. Imaginons alors qu’un enfant de 3 ans, en train de mourir de faim, toque à ma porte. Qu’est-ce que je vais faire ? Je vais l’aider. Comme tout le monde. Personne ne pourra dire “désolé, gamin, je n’ai pas le temps”. C’est notre force, en tant qu’humains. Quand nous sommes conscients, vraiment, pas seulement au niveau intellectuel, des besoins des autres, cela nous touche. Ma théorie est que nous avons perdu cette capacité. Nous avons institutionnalisé une grande partie de notre communication. Il s’agit pour nous de restaurer la conscience des besoins des autres. Cela nous permettrait de changer les règles, les institutions. Car elles sont conditionnées par notre façon de voir les choses. C’est un processus très lent. Il nécessite aussi de continuer encore et encore à pratiquer l’empathie.
Ruthie : je me demandais où se rangent les “limites”. Est-ce que c’est une règle, un accord, un usage protecteur de la force… ? J’ai du mal avec mes enfants, j’ai besoin de mettre des limites.
Thom : merci. Ce que j’ai expérimenté est que cela ne marche pas bien de mettre des limites avec les enfants. Nous avons parfois besoin de faire un usage protecteur de la force, pour éviter par exemple qu’ils se fassent écraser sur la route. Mais nous pouvons construire une vision du futur que nous voulons avoir avec nos enfants. Amy Weaver, avec qui nous avons animé un cours pour les parents, a une très belle approche. Elle dit “Oui, je voudrais trouver un accord! Mais à cet instant, je ne sais même pas par où commencer ! Et là, maintenant on va aller voir le docteur”. Mais en gardant cette aspiration, malgré l’échec de ce moment-là, nous savons que nous ne voulons pas faire cela, le faire le moins souvent possible. Et nous pouvons devenir plus habiles, en tenant bon, et cela devient possible un jour.
Alice : je suis soignante, et j’ai soigné ma mère pendant 4 mois, avant qu’elle meure, et elle souffrait beaucoup et je n’étais pas capable de l’aider assez, car il n’est pas toujours possible d’apaiser la douleur. Elle est décédée en février, et une semaine plus tard, ma fille a eu une douleur sur une dent de sagesse et nous avons dû aller à l’hôpital. A ce moment-là, ma fille avait très mal, les antidouleurs ne suffisaient pas. Alors comment me donner de l’empathie ? Car il est si dur pour moi de voir quelqu’un qui souffre.
Thom : tu viens de le faire. Il est si dur de voir quelqu’un souffrir. Sa fille. Un parent. Voir quelqu’un souffrir quand on ne peut rien faire, c’est dur. (Alice pleure doucement) C’est de là qu’il faut partir, se centrer sur ces besoins, car ils sont tellement affectés à ce moment-là. Et ensuite, ne pas se focaliser sur le manque, mais ce que nous voudrions trouver. C’est ce que j’appelle un projet d’auto-empathie et d’empathie. Je te recommanderais très très chaudement, si tu n’as pas de copain d’empathie, d’en trouver un, ou si tu n’es pas à l’aise avec cette idée, d’aller à un café d’empathie, de voir comment ça se passe. Mais c’est important que tu puisses trouver de l’empathie, par rapport à toute l’énergie que tu as donnée. Tu as fait tout ce que tu pouvais. Et malgré tout, tu ne pouvais pas faire tout ce que tu aurais voulu. Et dans ce genre de situation, je veux me donner de l’empathie, je veux te donner de l’empathie. Car c’est très difficile d’être un humain.
Alice : merci.
Chris : par rapport à l’aspect systémique du “pouvoir sur”, j’ai cet espoir de pouvoir malgré tout être empathique. Je crois qu’au fond, je hais devoir me protéger. Je ne sais pas comment me protéger sans violence. C’est pourquoi je suis ici. Et comment participer à un système sans se sentir écrasé par le pouvoir des autres ?
Thom : oui je l’entends très bien ! C’est sans doute quelque chose sur lequel porter le deuil ! Parfois dans la vie, nous savons exactement ce que nous voulons, et ce n’est pas au rendez-vous ! Que faire ? Pour moi ce qui marche le mieux c’est de faire le deuil, pour garder cette flamme vivante, même quand je ne la trouve pas dans mon quotidien. C’est pour cela que nous sommes ici, en tant que communauté.
Chris : mais faire le deuil n’est pas abandonner ?
Thom : non, non ! Pour moi, franchement, c’est l’opposé d’abandonner. C’est dire : ouah, je veux tellement cela, et je ne l’ai pas. Je suis comme ça. C’est ce que je veux. Nous humains, nous avons des pouvoirs incroyables. Mais nous avons d’abord besoin de la bonne information.
Chris : être dans un système où les gens souhaitent que les autres remplissent aussi leurs besoins, et être dans un système où les gens ne font attention qu’à leurs propres besoins, cela nécessite des compétences très différentes.
Thom : oh oui ! Dire non, par exemple, c’est une compétence en soi. Créer mes limites, savoir ce que j’ai envie de faire ou non… Je ne peux pas décrire à quel point je peux me sentir coupable dans de telles situations ! Comment je peux me dire que je n’ai pas le droit de me sentir ainsi ou de vouloir cette chose ! Cela a été énorme pour moi de devenir capable de dire non, sans agressivité, mais juste en expliquant que j’ai besoin de faire attention à moi. Et ce qui est drôle est que sachant cela, tu ne veux pas m’y obliger, car tu ne veux pas que cela me rende malheureux ! Et si même sachant cela, tu insistes quand même, alors on peut en parler. Cela marche mieux dans les relations personnelles. Au travail, le système est parfois tellement rigide que c’est plus difficile de discuter.
Chris : j’ai aussi entendu dans un DVD, cette semaine, que s’honorer soi-même nécessite du courage.
Thom : Et cela nécessite aussi d’être conscient de nos besoins et qu’ils comptent autant que ceux des autres. C’est comme l’exemple de l’enfant de 3 ans de tout à l’heure. Nous avons besoin de voir en nous l’enfant de 3 ans, pour en prendre soin.
Heather : cette journée est très riche. Je crois que je suis en train de faire le deuil, par rapport au “pouvoir sur”. Mes parents avaient une intention de mutualité, mais aussi des comportements en contradiction avec cette intention. Je pense que nous sommes nombreux à soit utiliser, soit être victime du “pouvoir sur”, et à rarement être dans la mutualité. Le mercredi je vais à des rencontres, où il y a des personnes que je connais plus ou moins. Et à un moment je m’assois, je fais le point sur moi-même, et je me rends compte que je suis très triste. Et je me dis que je suis responsable de mes besoins de connexion, d’intimité… et je me dis : s’il y a 1000 façons de les remplir, comment cela se fait que je n’en trouve pas une seule autre ? J’ai bien identifié les besoins. Et j’ai l’impression que ce qui me manque, c’est la partie où on visualise ce que cela fait de combler mes besoins. Car je n’ai jamais vraiment eu ces besoins-là comblés dans ma vie. Et je me sens déprimée.
Thom : d’abord faisons la différence entre triste et déprimé. La tristesse peut être un très beau guide dans notre vie. Pas la dépression. La dépression c’est quand on ne sait même plus ce qui nous manque. Je voudrais ensuite dire : continue à te poser des questions. Si je ne trouve pas, c’est qu’il doit y avoir un besoin oublié quelque part, que j’ai loupé. Et parfois c’est très difficile, car je n’y pense même pas. Il passe sous les radars. C’est pourquoi, je le répète, c’est si important pour nous d’avoir des copains d’empathie. Car ils peuvent voir ce qui est dans mon angle mort. Il y a cette dynamique où tant que je n’ai pas ce “oui, c’est ça”, c’est qu’il manque quelque chose. Il y a aussi le fait que si je rate quelque chose, peut-être que je l’ai identifié, je vois la façade, mais je ne vois pas encore tout ce qu’il y a derrière. C’est pourquoi nous parlons d’incarner nos besoins. Ce n’est pas simplement “j’ai compris, j’ai ce besoin”. C’est “Ouah, je sens à quel point ce besoin est important pour moi, dans ma vie”.
Heather : je pense que je te comprends. Mais j’ai l’impression que comme je n’ai jamais eu l’occasion de remplir ces besoins, je ne suis pas capable de m’incarner en eux, je n’ai pas l’expérience de ce qu’ils sont.
Thom : j’apprécie beaucoup ce que tu dis, car j’étais dans la même situation il y a quelques années. Et je me suis rendu compte que, pour chacun des besoins que j’avais écrit sur ma feuille, finalement je pouvais trouver quelque chose pour le remplir moi-même, ou que je pouvais l’expérimenter en aidant les autres à le trouver, même quand je ne pouvais le trouver pour moi. Très étrange. C’est sans doute lié à ces neurones miroirs que nous avons. Il y a donc une voie pour y arriver. Ce n’est pas facile.
Christine : j’ai de l’expérience dans les organisations, et pour moi, le “pouvoir avec” passe par la confiance et le respect. Si un docteur me dit de prendre un médicament, je suis obligée de lui faire confiance, car je n’ai pas les connaissances pour m’en assurer. Mais je peux me demander alors s’il souhaite vraiment mon bien ou s’il a d’autres intérêts. Si je suis dans la confiance, je suis dans le “pouvoir avec”, si j’abuse de la confiance, je suis dans le “pouvoir sur”.
Thom : oui. Tu es en avance de 2 semaines, où j’aborde la question du leadership. Par exemple, quand je vais voir un docteur, je peux me demander quels sont mes besoins par rapport à ça. En explorant cela, je retrouve de la liberté pour agir. Nous vivons dans un système basé sur le “pouvoir sur”, et cela demande beaucoup de travail pour trouver comment s’en sortir. Quand j’étais enfant, je croyais que les docteurs savaient tout. Et j’ai grandi et j’ai compris que ce sont des humains comme les autres. Alors je me suis rendu compte que ce qui était le plus important pour moi était qu’ils prennent soin de moi.
Sati : quand un accord est cassé de manière répétée, et que je constate que la personne ne se sent pas coupable, se sent bien, c’est très dur pour moi d’engager à nouveau la conversation. Je veux me protéger.
Thom : bien sûr. Notre pratique peut nous permettre malgré tout d’engager la conversation dans ce genre de situation. Ce que je ferais dans une telle situation, c’est demander à l’autre : quel est le besoin que tu ne remplis pas avec notre accord, et qui fait que tu ne le respectes pas ? Comme je l’explique dans un de mes cours, je peux assurer 100 % de la communication. Nous savons tous pourquoi une personne ne respecte pas un accord : car il ne remplit pas ses besoins ! Sinon il le respecterait. A nous donc de trouver ce besoin ! Cette méthode nous permet d’être des créateurs, des artistes pour créer une vie plus belle.
Margaret : tu as dit tout l’heure, à propos du système, que la voie était le deuil. Je me suis d’abord dit que ce n’était pas assez. Puis je me suis dit que faire le deuil est s’immerger dans la douleur. Ce faisant, nous la transformons en acceptation et en paix, et cela libère une énergie créative qui nous permet d’aller de l’avant et de trouver des solutions. Mais à condition de ne pas être bloqué dans le deuil.
Thom : tout à fait, et aussi à condition d’accepter de faire le deuil.
Margaret : et j’ai été en dépression une bonne partie de ma vie, et être déprimé, c’est réprimer ses émotions, ne pas les nourrir. Et nous réprimons aussi les émotions agréables. C’est devenir insensible à quoi que ce soit.
Thom : merci, ton témoignage est très précieux ! Être conscient de nos besoins est si important. C’est pourquoi la dépression est si difficile.
Fin